Enfin !
Le soupir de satisfaction de Sardanapale fut complet, intense et franc, comme lorsqu’on sort d’une longue maladie et que le corps, après ses souffrances, exprime la joie de la rémission.
Par les croisées de leur chambre, l’homme contemplait, au-delà des terres encore en friche qui attendaient les futures plantations, le miroitement de l’Aure, dont les rives enneigées rendaient l’éclat incomparable. Depuis une semaine, chaque jour que le Seigneur lui accordait, il venait là, emmitouflé dans un manteau doublé de vair, et s’accoudait au rebord de la fenêtre, de cette demeure à présent habitée, meublée, et qui bruissait dorénavant des bruits familiers de l’activité domestique.
Maître Bernold avait fait grand et bel ouvrage, et dans un temps incroyablement court, considérant que la grossesse de la vicomtesse était tellement avancée qu’il fallait éviter de la contraindre à une délivrance au milieu d’un chantier. Oh, ils avaient tous eu peur, certes, à constater que malgré l’achèvement des façades, des murs, même du toit, l’intérieur demeurait à l’état d’esquisse. Mais à la toute fin du chantier, les choses s’étaient accélérées, et le contre maître avait orchestré avec dextérité le ballet des artisans occupés à l’aménagement des appartements.
Fort heureusement, le régisseur des terres de Termonde, pressé par son maître, avait diligemment organisé le convoyage depuis les Flandres des fonds divers, fruits des dimes, tailles et revenus de toute sorte, sous bonne escorte, à travers des contrées dorénavant dangereuses pour la mesnie des Hauteville. Louvoyant à travers bois, villages perdus et champs enneigés, les coffres précieux, accompagnés des meubles dont le jeune couple avait ordonné le transfert à Bayeux, étaient arrivés à bon port, échappant ainsi aux brigands qui infestaient les routes.
C’est que les caisses du vicomte commençaient à être aussi vides qu’un puits asséché, car la construction d’un bâtiment aussi ambitieux n’avait pas été sans coûts supplémentaires et dépassement des devis. Aussi l’arrivée des nouveaux fonds avait permis l’achèvement des dispositions intérieures.
Un jour de la fin janvier, alors que toute trace d’ouvrier avait disparu sur le terrain, maître Bernold avait convié toute la famille et, d’un geste cérémonieux et fier, leur avait remis les clefs du tout nouveau et étincelant Hôtel de Hauteville.
Fort ému, Sarda avait pressé les mains de sa jeune épouse et, se remémorant le jour où il l’avait conduite dans leur chambre nuptiale, ils avaient pénétré dans le vestibule, suivis par toute la maisonnée, Berthe en premier, fière comme une impératrice, puis le vieux Pierre, Ange Mathurin, Marguerite, et les autres domestiques.
Mais il restait une chose à faire, en tout premier lieu. Une chose extrêmement symbolique, dont il avait rêvé le jour, et qui à présent, après un temps considérable, devenait réalité.
C’est ainsi que, sous ses regards attentifs et protecteurs, ses gens avaient accroché aux murs du vestibule, avec d’infinies précautions, la tapisserie des fils de Hialtt, qui revenait enfin, après des années, dans sa mère patrie.